Témoignage d’un néophyte ayant opté pour la liturgie traditionnelle
Un fidèle du Sud-Ouest nous a adressé ce témoignage. Nous choisissons de le publier au moment où un article du quotidien La Croix du 5 décembre 2024, intitulé Les messes en latin du pèlerinage de Chartres sous surveillance du Vatican, alimente la rumeur d’une possible interdiction de la liturgie traditionnelle lors du pèlerinage de Pentecôte. Certains clercs ne semblent pas craindre la contradiction entre synodalité et exclusion, entre une Eglise ouverte à « Tous, tous, tous » et une bureaucratie cléricale maniant l’interdiction… En ce temps de l’Avent, méditons plutôt sur les grâces de conversion qui découlent de la sainte liturgie, et remercions Dieu de nous la faire goûter comme la nourriture de nos âmes.
Comme vous me donnez l’occasion de parler des aspects liturgiques qui ont pris place dans le cheminement m’ayant conduit à la foi catholique, je le ferai avec joie, en espérant que ce témoignage pourra permettre à qui le souhaite d’en apprendre davantage sur les raisons qui peuvent pousser un jeune homme du XXIe s. (j’avais trente ans au moments de mon baptême) à embrasser la foi au Christ, tout en s’attachant à la liturgie dite traditionnelle. Ce témoignage ne concerne qu’un individu ; il est donc unique et subjectif, mais tout témoignage personnel étant le reflet de tendances, d’influences et d’une sensibilité partagée, j’espère qu’il pourra avoir une valeur auprès d’un certain lectorat.
Je ne peux pas dire que je viens d’un milieu catholique, ni très religieux. Fils d’un immigré italien et d’une française de région occitane, je n’ai pas été éduqué dans la foi, ni par mes parents, ni par mes grands-parents qui, d’un côté comme de l’autre, n’étaient pas de fervents pratiquants. Certaines pratiques étaient observées cependant ; par exemple, faire baptiser leurs enfants. Je me souviens avoir entendu un jour ma grand-mère italienne justifier ce choix ainsi : c’était « plus sûr », car « on ne sait jamais ». Il ne lui restait de son héritage chrétien que l’indifférence, teintée d’une vague crainte superstitieuse. Pour mes parents, le rejet du religieux est davantage affirmé : je me souviens avoir entendu ma mère parler de « simagrées » quand, un jour, choisie pour marraine pour la fille d’une de ses cousines, elle fut consternée de voir que le prêtre refusait de bénir la médaille de baptême choisie parce qu’elle représentait un signe astrologique. Anecdote plaisante, mais révélatrice du peu d’approfondissement catéchétique chez les membres de ma famille élargie, et dans le cas de ma mère, signe que son rejet du rituel (elle pourtant fort pieuse jusqu’à la Confirmation) correspond à une méconnaissance de leurs significations profondes. Autre souvenir : mes yeux d’enfant virent à table le signe de croix que ma grand-mère dessinait de la pointe du couteau, systématiquement, toute sa vie, jusqu’à la fin. Ce geste était à la fois comme imprimé dans son corps, et dépourvu, dans son esprit, de signification ; et pourtant, cette répétition d’un geste venu du fond des âges (acte à proprement parler liturgique), inscrite dans mon quotidien d’enfant et d’adolescent, jour après jour, a eu pour moi une valeur de témoignage – point capital, car j’en conclus que les signes chrétiens, et même les plus humbles, se transmettant, de génération à génération, sans qu’entre en ligne la foi personnelle de ceux qui les miment, ont une réelle conséquence dans l’évangélisation. Des symboles, semblant lettre morte, ne demandent qu’à reprendre vie sous l’action d’un héritier quelconque, touché par la foi.
Mes parents (qui eux-mêmes ne sont pas mariés), n’ont pas voulu que je sois baptisé, pour que je « fasse mon propre choix plus tard » (ce que je fis ; et à leur grande consternation !… ). On parlait donc peu de Dieu, ni de questions métaphysiques, ni de religion à la maison. Mes contacts avec l’église étaient rares : cérémonies funèbres, première communion de cousines. Je me souviens donc avoir assisté à des messes, et de n’avoir rien compris de ce qu’il se passait. Nourri par cette éducation, et, il faut bien le dire, par la télévision à hautes doses, fréquentant l’école publique d’où Dieu était parfaitement absent (dans la bouche des professeurs, j’entends), je me souviens, l’adolescence venant, avoir développé une vive hostilité à l’égard de la religion, et en particulier de la religion catholique, cultivant les critiques les plus communes : son caractère dépassé ; son enseignement inactuel, hypocrite, ou dangereux sur les mœurs ; ses rites d’un autre âge ; le fait que l’on doive accorder sa foi en des récits extravagants (Adam & Eve, etc.). J’attribue cette méconnaissance à « l’ambiance » dans laquelle l’on est plongé, dans nos sociétés, aujourd’hui : la toile de fond, la petite musique, l’air qu’on respire. Car d’où me serait venue une telle haine du catholicisme ? Mes parents, si peu catholiques qu’ils soient, n’étaient pas des athées ni des anticléricaux militants ; ces idées m’ont été inculquées ailleurs.
Dans les années 2000, les turbulences de l’adolescence prenant fin, mon chemin vers la conversion, qui allait durer une dizaine d’années, commence. Il a été fait de rencontres (l’exemple et le témoignage de chrétiens compte beaucoup, mais ce n’est pas notre objet ici), de lectures (ce sont mes études de lettres – en particulier l’enseignement de certains professeurs, assez tardivement dans le cursus d’ailleurs, le supérieur reprenant en cela les mêmes habitudes que le secondaire – qui m’ont permis de découvrir certains auteurs chrétiens ; mais là encore, ce n’est pas notre objet), et d’une lente maturation, nécessaire pour que mon esprit se détache des idées reçues que j’évoquais plus haut, et s’ouvre, peu à peu à la cohérence, à la rationalité, à la beauté du message chrétien. Mais puisque nous voulons traiter ici de liturgie, je livrerai à mon lecteur deux anecdotes ténues, et cependant significatives.
La première. Années 2000, début du chemin. Visitant la cathédrale de Chartres avec un ami, en touristes, nous entrons pendant la messe. Ici, rien de « traditionnel » pour l’instant. Un garçon en habit blanc porte un très grand livre, qu’un homme plus âgé en habit blanc lui aussi (le prêtre ? l’évêque?) lit à voix haute. Nous sommes deux amis, nous avons deux réactions différentes. Mon ami, agacé : « il ne peut pas le porter tout seul ? » Moi, je trouvais ce geste très beau ; il y avait là une attention portée à quelque chose de précieux ; les gestes, ou les attitudes, le caractère à la fois simple et solennel de la lecture, m’émeuvaient, et j’avais envie de rester encore un peu pendant ce moment où le temps était suspendu ; mais il fallait repartir, car ni moi, ni mon ami, n’étions ici pour assister à la messe. Je pense avoir, dans ce bref récit, posé un jalon important de notre compréhension de ce en quoi la liturgie peut être « missionnaire » ; mais en même temps, la réaction de mon ami signifie aussi ce en quoi elle peut susciter la perplexité. Toujours est-il que pour moi, dans le geste inutile, donc gratuit, de ce servant portant le livre, je retrouvai un peu de ce geste gratuit, inutile, de ma grand-mère traçant une croix invisible, de son couteau, sur le pain. Je me sentais – et me sens encore – attiré par ces gestes dont notre réalité physique peut très bien se passer, et qui désignent une réalité invisible. Quant à mon ami, je ne pense pas que si le prêtre, ou l’évêque, avait porté le livre tout seul, il aurait été davantage converti.
Une autre anecdote, que je citerai en contre-exemple significatif : à peu près à la même époque (entre 2000 et 2005), je me souviens avoir visité la basilique de Fourvière, à Lyon, en touriste également ; il y a la beauté du lieu ; il y a aussi des religieux, en bel habit blanc, qui viennent à la rencontre des visiteurs (membres des fraternités de Jérusalem, peut-être? Je l’ignorais, bien évidemment). L’un vient à moi. Il souhaite m’indiquer quelques points d’intérêt artistique, en faisant de l’apostolat – c’est ce que, rétrospectivement, je pense. Voulant savoir si j’avais quelques connaissances de culture chrétienne, il me dit : « Vous êtes branché catho ? » Cette question me désarçonna. Je ne savais pas qu’on pouvait être « branché catho », et, en moi, intimement, quelque chose disait avec force qu’il était incongru, déplacé, voire irrespectueux, d’adopter ce langage « cool » pour des réalités mystérieuses et profondes. Combien aurais-je préféré que ce frère me parlât un langage grave. Le choix des mots ne correspondaient pas à son habit, ni au lieu, ni à mon désir profond, et dissimulé à moi-même, d’absolu, de quelque chose qui vous change de fond en comble, qui vous tient et qui vous libère en même temps. J’étais, je m’en rends compte aujourd’hui, avide de revoir un peu ce que j’avais entraperçu à Chartres : des cérémonies, des gestes lents et beaux, des signes qui nous parlent de cet absolu indicible ; je n’avais aucun besoin, ce jour-là, de faire ami-ami avec un être qui, par la beauté simple et étrange de son habit, disait autre chose. Je ne fais pas de mon cas une généralité, bien entendu ; peut-être était-ce mon besoin ce jour-là, et peut-être aurais-je bien aimé le lendemain qu’on me parlât ainsi ; peut-être est-il beaucoup de personnes en ce monde qui préféreraient, dans ces situations, avoir affaire à un religieux « sympa » comme celui-ci l’était, et que c’est une excellente manière d’entrer en conversation. Mais ne sous-estimez pas non plus le nombre de ceux qui, perdus, en quête d’ils ne savent pas quoi, entrent parfois dans les églises, et ont besoin de voir et d’entendre ce qui est beau et – lâchons enfin le mot – sacré. Ils sont à la recherche d’absolu, et qu’on leur parle tout de suite de ce qui engage toute la vie, et qu’on leur parle – enfin ! – de Dieu. Ils n’ont pas besoin qu’on se mette à un niveau « convivial » : ces êtres assoiffés dont j’étais ont assez joui de convivialité. Ce n’est pas cela qu’ils demandent à l’Église quand ils entrent dans une église. Je ne dis pas non plus que les personnes à l’accueil des églises doivent surjouer le mystérieux et le hiératique, ce serait ridicule et hypocrite ; mais de faire ce que l’Église a toujours fait : parler, avec simplicité, humilité et gravité de notre unique foi et seule espérance.
Je pense par ces deux anecdotes avoir déjà tout dit. Mais comme on me demande de parler précisément de la place qu’a occupé la liturgie traditionnelle dans ma conversion, je continuerai un peu.
Dix ans plus tard, j’étais « devenu catholique », dans ma tête, philosophiquement, disons. Je n’avais pas reçu le baptême, mais j’avais fait le saut de la foi ; en tout cas, je voulais croire. Il y a dans cette conversion un désir profond d’engagement, de ferveur, de réforme radicale et profonde de sa vie ; la question purement cultuelle avait déjà été posée pour moi par petites touches, comme je l’ai montré plus haut ; mais à mesure que j’entrais progressivement dans l’Église, elle devenait de plus en plus d’actualité. J’entre ici avec précaution dans le domaine liturgique car, ayant découvert la forme traditionnelle de la liturgie et m’y étant attaché, il ne s’agit pas d’adresser une critique à d’autres formes liturgiques dans lesquelles beaucoup puisent leur force. Mais je m’accorde le droit, néanmoins, de dire que ces formes, à l’époque, ne pouvaient me satisfaire, ou satisfaire ma soif, ou ma sensibilité. Evacuant toute question théologique ou dogmatique, je me place résolument sur le plan de la sensibilité ; car en accordant à mes frères chrétiens le droit de préférer la forme qui leur convient, j’espère obtenir d’eux le même.
Cela étant posé, il faut bien que je dise, avec sincérité, ce qui me fait préférer une forme à une autre ; avant de me lancer dans un propos qui sera forcément porteur de négativité, je réaffirme le caractère subjectif de celui-ci ; la seule vérité que l’on y trouvera est celle de la sincérité d’un individu. Voilà, donc, ce que fut l’impression d’un trentenaire n’ayant jamais mis les pieds, enfant, à la messe, ayant découvert le catholicisme en visitant des églises et en lisant des livres, quand il a assisté à une célébration près de chez lui : désordre ; maladresse ; beaucoup de paroles prononcées ; chansons entonnées avec cœur, mais de faible consistance esthétique ; sentiment d’être infantilisé, non seulement par la nature des chansons, mais aussi par la manière de mener l’homélie. Je ne retrouvais pas l’expérience de feu que partageaient certains auteurs chrétiens dans leurs œuvres découvertes au fil de mes lectures. Ainsi, avec la très mince connaissance des réalités ecclésiales qui était la mienne à l’époque, je me rappelle avoir, consciemment, cherché sur internet, par mots-clés, quelque chose comme « messe en latin », comme si, instinctivement, je croyais, moi qui ne savais à peu près rien de la situation de l’Église catholique à l’époque, que le latin était la clé du problème. J’aurais pu tomber sur une messe du nouvel ordo de Paul VI, dite en latin, avec chant grégorien ; mais, signe de la réalité de la situation actuelle, chercher une « messe en latin » aujourd’hui vous conduit naturellement vers l’ordo ancien.
Ce que j’y ai trouvé correspond à ce qui m’a amené à y rester, et à devenir, quasiment du jour au lendemain, pratiquant dominical : le souci des mots, gestes, attitudes et déplacements, accorde aux cérémonies clarté et précision, et par conséquent, une meilleure compréhension de ce qui est en train d’avoir lieu, aussi bien qu’une impression d’harmonie, d’ordre et de beauté. Le sérieux, la gravité permanente, le rythme aussi, sont propices au recueillement, de même que l’effacement du prêtre, qui devient une sorte d’actant, à la personnalité duquel il n’est seulement accordé de s’exprimer qu’au cours de l’homélie (à la rigueur). Là, je n’ai pas l’impression que le prêtre m’infantilise, ou que la cérémonie dépend de sa personnalité, charismatique ou pas, qui me prend en otage, mais que, saisi par ce rituel qui le dépasse, il n’est plus lui-même, il s’efface derrière le geste, et que tous, prêtre, servants, fidèles, sont unis dans un même mouvement. Le latin extrait les paroles humaines du langage ordinaire et les hissent à un autre niveau ; l’opacité même du discours provoquée par l’usage d’une langue ancienne entraîne l’acquisition d’un missel (lu pendant la messe et lu chez soi, comme un livre de catéchisme et de prière tout à la fois) qui permet de suivre et de s’unir, activement et profondément, à chaque acte liturgique : l’offrande de soi pendant l’offertoire, l’action de grâce pendant la préface, l’intercession pendant les deux memento, le sacrifice rédempteur lui-même, l’adoration à l’élévation, et l’incorporation au corps du Christ pendant la consommation des espèces – autrement dit, la communion.
Du signe de croix de ma grand-mère et du lectionnaire porté par un servant à Chartres à la forme « traditionnelle » de la liturgie, j’arrive à présent à me demander ce que ce parcours me dit, avec le recul des années. Je conclurai donc ainsi.
S’il y a des paroles, des discours, nécessaires pour une compréhension profonde de nos rituels, il y a aussi, et premièrement, les gestes, les manifestations concrètes et visibles de ces rituels. Ils ne sont pas à bâcler, puisqu’ils sont les manifestations concrètes et visibles de notre foi. Ainsi la messe, « source et sommet », nous sommes plusieurs à porter une attention toute particulière à la manière de la célébrer et, puisqu’elle se fait avec nos gestes humains et nos voix humaines, à la vouloir, dans ses aspects extérieurs, grave et belle ; non pour créer une parenthèse enchantée dans la semaine, un spectacle auquel on assiste (pour reprendre l’une des accusations les plus injustes que les critiques militants de la messe traditionnelle peuvent formuler, si peu en rapport avec la réalité de ce que je vis …) et auquel on ne pense plus le reste du temps, mais pour la raison exactement opposée : parce que notre manière de célébrer la messe est à l’image exacte de notre manière de mener nos existences : parce qu’à la messe nous offrons nos vies et que les grâces que nous y recevons prolongent la messe dans nos vies ; parce que nous transformons nos existences, dans toutes leurs dimensions (familiales, intimes, professionnelles, …), en prière, en oblation, en victime, en corps mystique – par lui, avec lui, et en lui. L’attention et le recueillement profonds, la beauté méditative du grégorien, la gravité solennelle des gestes, le silence dans lequel nous nous enfonçons lors de la consécration, soutient notre ferveur pendant l’acte cultuel et la maintient dans nos vies quotidiennes, nous amenant, avec les prières du matin et du soir, la liturgie des heures, l’oraison et la méditation régulière, à vivre une vie d’oraison. Loin d’être une fuite du réel, c’est l’exact contraire qui se produit : la charge du devoir d’état, les œuvres, les épreuves, la rencontre avec autrui sont comme habitées et transfigurées par ce que l’on reçoit dans la liturgie collective (à l’église, avec la communauté) et personnelle (la vie de prière), et nous poussent à les accomplir avec d’autant plus de charité pratique, comme des instruments entre Ses mains.
Alors je reste attaché à la liturgie traditionnelle parce qu’elle m’apprend cela, parce que j’y trouve cela, parce que j’y vis cela.
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