Que s’est-il dit au dernier synode ? (Suite)

Quelques éléments d’analyse

Le Pape François a officialisé le document final du Synode, mais a également annoncé qu’il ne publiera pas de d’exhortation post-synodal, attribuant ainsi une dimension magistérielle aux directives formulées par l’assemblée synodale. Selon les normes en vigueur « le Document Final de l’Assemblée est présenté au Pontife Romain, qui décide de sa publication. S’il est expressément approuvé par le Pontife Romain, le Document Final participe au Magistère ordinaire du Successeur de Pierre. » (Constitution apostolique Episcopalis Communio). Les 355 membres du Synode, clercs et laïcs, y compris des femmes, ont voté chaque paragraphe des 54 pages du document, qui traite de questions sensibles telles que la place des femmes dans l’église, la participation des laïcs ou la nécessité d’un collectif dans la prise de décision. Cette démarche est-elle vraiment fidèle à la tradition de l’Église ou annonce-t-elle une nouvelle église « synodale » ?

Un synode original par sa composition

Rappelons à titre préliminaire ce qu’était l’institution créée par saint Paul VI en 1965. Son Motu proprio Apostolica sollicitudo avait en effet pour but explicite d’« entretenir une union et une collaboration étroites entre le Souverain Pontife et les évêques du monde entier. » Il s’agissait ainsi de tirer les conclusions concrètes des débats conciliaires ayant conduit à l’adoption de la constitution Lumen Gentium. Celle-ci avait mis en valeur la fonction des évêques en leur qualité de successeur des Apôtres et souligné qu’ils formaient ensemble un « collège ». Il devenait nécessaire dès lors d’organiser un mécanisme de relation plus étroite des membres de ce collège entre eux et avec le successeur de St Pierre. C’est ce qu’on a appelé la « collégialité épiscopale » qui fut, à juste titre, tenue pour une conception clef du Concile.

On le voit, le sujet était juridiquement et théologiquement clair : le synode devait faciliter les échanges entre évêques, considérés comme les membres d’une même collège, entre eux et avec le Pape, comme il était matériellement impossible de réunir fréquemment et aisément les 2400 évêques du monde (devenus 5 353 aujourd’hui). Dès lors, il est parfaitement légitime de ne réunir qu’un nombre réduit d’entre eux (5 % du total mondial, majoritairement élus par leurs pairs).

Cette nature « apostolique » a-t-elle été entièrement conservée ? On peut en douter au vu de l’entrée de 80 non-évêques dans ce synode – dont 40 femmes. C’est là une première innovation – qui conduit à s’interroger sur l’esprit de continuité du synode avec les acquis du Concile.

Quelle est la valeur exacte de ce texte ?

Dans une note publiée le 25 novembre 2024, le Pape François a dressé une présentation subtile des conclusions du Synode. D’une part, il considère qu’elles ne sont pas “strictement normatives” et doivent faire l’objet de mesures d’application détaillées – ce qui semble tendre à relativiser leur portée. D’autre part et de manière symétrique, il paraît pourtant les approuver de façon solennelle car ce document engage « dès maintenant les Églises à faire des choix cohérents avec ce qui y est indiqué ». L’expression employée semble assez forte car le document synodal, « participe au Magistère ordinaire du Successeur de Pierre et, en tant que tel, (le pape) demande qu’il soit accepté ». Dans une formule compliquée, il ajoute également qu’il est « le cadre interprétatif adéquat pour comprendre le ministère hiérarchique ».

On est donc en présence d’un texte contraignant dans ses objectifs sans que ses effets précis soient d’ores et déjà connus. Et cela d’ailleurs sans que cela ait été annoncé avant les travaux de l’assemblée.

L’unité passe par l’écoute

Le pape François, dans son message final, emploie cette formule « Tout cela est un don de l’Esprit Saint : c’est Lui qui fait l’harmonie, il est l’harmonie. Saint Basile a une très belle théologie à ce sujet ; si vous le pouvez, lisez le traité de Saint Basile sur le Saint-Esprit. Il est l’harmonie. Frères et sœurs, que l’harmonie se poursuive alors que nous quittons cette salle, et que le Souffle du Ressuscité nous aide à partager les dons que nous avons reçus. »

François n’hésite pas à dire que « L’élan qui découle de cette expérience, dont le Document est le reflet, nous donne le courage de témoigner qu’il est possible de cheminer ensemble dans la diversité, sans se condamner l’un l’autre. » Il ajoute qu’il faut « non seulement rêver de paix mais nous engager de toutes nos forces pour que, peut-être sans trop parler de synodalité, la paix puisse être atteinte à travers des processus d’écoute, de dialogue et de réconciliation. L’Église synodale pour la mission a maintenant besoin que les paroles partagées soient accompagnées d’actes. »

La vision du saint-Père est assez claire : à ses yeux, l’écoute, le dialogue, le respect mutuel ne vont pas déboucher sur de cruelles querelles byzantines mais sur l’enrichissement mutuel – pourquoi pas en effet ? Mais, néanmoins, comment ne pas craindre également des dérapages pouvant porter atteinte à l’unité et à l’universalité catholiques ? Car si l’Esprit Saint œuvre en faveur de l’Unité, l’Ennemi n’est-il pas toujours présent en coulisse ?

Le Pape François renvoie certaines questions aux échelons locaux : « Toutes les discussions doctrinales, morales ou pastorales ne doivent pas être résolues par des interventions du Magistère ». De plus, « dans chaque pays ou région, des solutions peuvent être recherchées, attentives aux traditions et aux défis locaux ». Dès lors, de nouveau, faudra-t-il compter sur l’action de l’Esprit-Saint pour assurer l’unité de réponse à l’échelle mondiale aux questions relatives à la foi et aux mœurs ? En effet, comment exclure que les assemblées futures ne se divisent profondément sur des sujets sérieux – on peut penser à des questions morales, évidemment – mais aussi tout simplement à une politisation possible, car la tentation politique est toujours grande au sein d’un peuple de Dieu, qui, en Occident du moins, est imprégné de culture démocratique et critique. Ce qui peut aussi, paradoxalement, conduire à une certaine défiance face à de réunions qui risqueraient de ressembler à celles du palais Bourbon ! Et hors des démocraties, certains Gouvernements ne vont-ils pas chercher à influer sur les prises de position ecclésiastiques ? L’exemple chinois est déjà assez effrayant. Ne va-t-il pas faire école ?

On notera en passant avec un peu de surprise la conclusion curieusement bureaucratique qui est tiré de cette mesure de décentralisation puisque «dans le rapport prévu pour la visite ad limina, chaque évêque aura le soin de rapporter quels choix ont été faits dans l’Église locale qui lui a été confiée par rapport à ce qui est indiqué dans le Document final, quelles difficultés ont été rencontrées, quels en ont été les fruits». Toute comparaison avec la hiérarchie préfectorale doit-elle être écartée ?

Est-il nécessaire de parler autant de ce qu’il faut faire ? N’aurait-il pas été plus simple de prêcher par l’exemple ? Et ce d’autant plus que la Tradition de l’Église est riche en procédures consultatives. Il n’est guère difficile de convoquer des assemblées synodales, des consistoires voire des commissions spécialisées. C’est d’ailleurs un peu le même sujet pour les abus. Les textes sont remplis de sanctions – or celles-ci n’étaient simplement pas appliquées. Est-il si difficile de faire ce qui est prévu ?

Pour ne citer qu’un exemple un peu surprenant, plusieurs observateurs furent également étonnés par la publication avant la réunion du synode d’une liste de nouveaux péchés (dont le mystérieux péché « contre la synodalité ») ? Etait-ce vraiment de bonne méthode ? Si cela pouvait donner l’impression de donner une grande force aux décisions synodales, un commentateur normalement critique pouvait se demander si justement ces nouveaux péchés n’auraient pas dû faire l’objet d’un échange au sein de l’assemblée synodale ?

Quel lien ce synode entretient-il vraiment avec le concile Vatican II ?

Certes, les pères synodaux ont déclaré à plusieurs reprises s’inscrire dans la ligne du Concile Vatican II. Ils sont sur ce plan fidèles au Pape Jean Paul II qui avait sagement qualifié ce concile de « boussole » pour notre temps, mais ils semblent toutefois tendre à s’en éloigner sur deux points majeurs.

Tout d’abord, la position centrale accordée aux évêques par Lumen Gentium, en corps et individuellement, pourrait paraître remise en cause. Si on a pu dire que Vatican I avait été le Concile du ministère pétrinien et Vatican II celui du ministère épiscopal, il est clair que les perspectives ouvertes en 1965 pour les évêques semblent bien refermées par un propos qui semble très méfiant à leur égard.

On a déjà noté que la composition de l’assemblée synodale faisait la part belle aux non-évêques.

La fonction des conférences épiscopales semble être valorisée puisque d’éventuelles décisions sur des sujets graves pourraient leur être déléguées. Mais il faut observer cette intention avec prudence. Nous savons bien que ces instances sont souvent des machines administratives lourdes et rigides dans lesquels les évêques peuvent avoir du mal à peser. En outre, il n’est pas exclu que là aussi des non évêques soient invités à y siéger.

D’ailleurs, l’organisation des diocèses pourrait-elle évoluer pour ouvrir la porte aux religieuses et aux laïcs. N’est-ce pas une autre façon d’affaiblir la fonction épiscopale ?

Il en irait sans doute de même dans les paroisses. Qui osera redire aujourd’hui que « Les prêtres (sont) les chefs du Peuple de Dieu » selon les termes du décret Presbyterorum Ordinis ?

Sur le fond, chacun peut être frappé par la tonalité souvent très pessimiste du texte. Cette tonalité se situe clairement aux antipodes de Gaudium et Spes. Dès l’introduction, il est question des péchés « contre la paix, contre la création, les peuples indigènes, les migrants, les enfants, les femmes, les pauvres, l’écoute et la communion. » et on tire la conclusion que « Cela nous a fait prendre conscience que la synodalité exige repentance et conversion », et plus loin : « En contemplant le Ressuscité, nous avons aussi vu les signes de ses blessures (…) qui continuent à saigner dans le corps de tant de frères et sœurs, également à cause de nos péchés. Notre regard sur le Seigneur ne se détourne pas des drames de l’histoire, mais ouvre les yeux pour reconnaître la souffrance qui nous entoure et nous pénètre: les visages des enfants terrifiés par la guerre, les pleurs des mères, les rêves brisés de tant de jeunes, les réfugiés qui affrontent de terribles voyages, les victimes du changement climatique et de l’injustice sociale ».

François a également évoqué « la violence, la pauvreté, l’indifférence » dans son message…

Loin d’être animé par l’optimisme des années 1960, le texte décrit surtout un monde dramatiquement chaotique et en proie à de nombreuses forces mauvaises : guerre, violences, changement climatique, abus, injustices… Dans le monde mais également dans l’Église : la question des abus a également été abordée plusieurs fois – question à laquelle est liée la réponse inappropriée apportée par l’institution ecclésiale. Bref, la terre ne tourne pas rond.

Ce pessimisme peut-il rester sans effet ? Comment les catholiques pourraient-ils demain coopérer à un monde si triste ?

Une critique implicite de l’actuel pontificat et un retour à la Tradition ?

De façon plus technique, en insistant très fortement sur la nécessité de procéder à des consultations systématiques avant la prise de décisions importantes, sur la nécessité de l’écoute et du dialogue, on finit par se demander comment est dirigée l’Eglise depuis dix ans. Nombreux sont certainement ceux (probablement à tort) qui verront dans ces formules imprécises une réaction à l’égard de certaines décisions récentes. Les Pères synodaux avaient-ils en vue « Fiducia Supplicans » ou « Traditonis Custodes » ? Faut-il voir dans les aspirations du synode une condamnation de certaines méthodes romaines ?

On notera également une invitation bienvenue à ne pas faire prévaloir nos idées sur l’écoute de la parole de Dieu. Quand on sait à quel point certains esprits s’éloignent des règles de l’Evangile (par exemple sur le divorce), il y a là un rappel utile.

Les procédures de consultation sont en effet très traditionnelles dans l’Eglise (qui n’est pas une structure bonapartiste et n’a pas beaucoup de rapport avec le système jésuitique). Les Conciles généraux et provinciaux, les synodes diocésains s’enracinent dans un lointain passé.

On notera aussi l’intérêt porté par les Pères synodaux sur des questions qu’on peut habituellement tenir pour politiques (c’est-à-dire dépassant les préoccupations de l’individu et de sa famille) et toutes d’actualité comme la guerre ou la violence. Ne croit-on pas revenir vers un temps où le clergé indiquait aux fidèles comment voter et aux monarques comment régner ?

Comment cet intérêt pour les sujets concernant la cité dans son ensemble pourrait-il être concilié avec la vision sinistre développée sur l’état de la planète ? Ne risquons nous pas de conduire les fidèles à s’engager dans le combat politique pour contester à peu près tout ce qui se fait aujourd’hui ?

En semblant tourner le dos à l’ouverture au monde voulue par les papes Jean XXIII et Paul VI, le synode ne prépare-t-il pas un repli sur une Eglise qui, pour être synodale, n’en serait pas moins autocentrée ?

Comment faire ?

Pour François, l’Église catholique « a besoin que les mots soient accompagnés d’actes ». Il nous semble que plusieurs questions précises se posent pour les catholiques français.

La première ne porte pas sur la féminisation mais plutôt sur la sélection des laïcs appelés à conseiller les curés et les évêques. Regardons la France : le clergé et l’épiscopat ne cultivent-ils pas l’entre-soi ? Va-t-on se tourner prioritairement vers des personnes âgées cherchant à faire revivre les années 60 ? Ou parmi les jeunes qui ouvrent leur cœur à l’émotion véhiculée par le chant grégorien ? Eglise EHPAD ou Eglise en route vers Chartres ?

La deuxième porte sur les sujets abordés : il y a des problèmes spectaculaires dans l’Eglise de France qui pourtant ne sont jamais évoqués ni en France ni à Rome. On peut citer l’effondrement des vocations et de la pratique, notamment dans les milieux populaires, ou l’attrait croissant de la liturgie traditionnelle pour les jeunes générations. Va-t-on en parler ? Le prochain déplacement du Pape en Corse n’offre-t-il d’ailleurs pas l’occasion de traiter des dévotions populaires si souvent méprisées par les théoriciens de la Foi ?

La troisième porte sur la liberté et la charité des échanges. Juste avant le synode a été créé de façon complètement solitaire et unilatérale un péché contre la synodalité. Cela signifie-t-il que la liberté d’expression avant, pendant et après les réunions, aura été restreinte ou supprimée ? En outre, nous savons que les assemblées sont souvent manipulables quand les règles de fonctionnement sont nouvelles – surtout si des groupes organisés et motivés parviennent à les infiltrer. Verra-t-on des « partis » chercher à monopoliser la parole en excluant toute sensibilité différente ?

Nous Français, citoyens d’une République vieille de 200 ans, nous n’avons guère d’illusions sur les débats parlementaires. Les journaux et l’histoire nous montrent souvent que la vie des assemblées est rarement un exemple moral et aussi rarement également un facteur d’efficacité.

Une opportunité pour les fidèles attachés à la liturgie traditionnelle ?

Comment les clercs et les fidèles attachés à la forme traditionnelle de la liturgie vont-ils accueillir ces orientations ? Ils vont sans doute craindre une méthode pouvant favoriser l’expression de points de vues hétérodoxes, mais on peut imaginer qu’ils vont regarder, sinon avec joie, du moins avec intérêt, les engagements pris en faveur de « l’écoute, du dialogue et de la réconciliation » car ce sont là des biens qui leurs sont chichement accordés de nos jours.

En outre, il n’est pas absolument certain qu’ils soient dans le fond très attachés au modèle hiérarchique « bonapartiste » de Pie IX, que finalement François a maintenu jusqu’à présent. On peut au contraire imaginer que dans les milieux « traditionnels » existe un réel attachement au débat d’idées, dans la courtoisie et l’intelligence, à l’exemple des controverses auxquelles les universités médiévales étaient habituées.

De plus, l’ouverture de procédures publiques de discussion peut donner l’occasion de mettre sur la table de vraies questions, telles que la crise des vocations, les dévotions populaires ou la nouvelle évangélisation.

Enfin, les questions posées par les milieux traditionnels peuvent constituer une espèce de « test » de la sincérité du process synodal. Si ces milieux sont exclus du débat, si leurs questions ne sont pas évoquées, on pourra avoir un doute sur la pertinence de l’exercice. De même, si l’ouverture et l’écoute ne se bornent qu’à agiter quelques vieilles lunes des années 60, s’il s’agit de répéter ce que disent TF1 ou Le Monde sur l’actualité, on pourra se dire que sous couvert de nouvelle méthode, on se contente de suivre la plus grande pente …

En conclusion, il faut que les associations représentatives des fidèles attachés à la liturgie traditionnelle comprennent qu’elles ont intérêt à se faire entendre dans le cadre synodal diocésain ou paroissial.

Philippe PELISSIER

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