La synodalité ! on en a beaucoup parlé sans forcément savoir très bien où cela allait au juste : décentralisation des structures et des procédures, plus grande association des laïcs et en particulier des femmes aux décisions, consultations larges avant toute prise de décision romaine de grande importance, etc. Ce sont là des sujets que la presse présente comme novateurs.
Pourtant, les réunions de ce type ne sont absolument pas une nouveauté dans l’Église. Même si beaucoup l’ignorent souvent, ces procédures de consultation sont en fait très traditionnelles dans l’Église. Les conciles généraux et provinciaux comme les synodes diocésains s’enracinent dans un lointain passé. Sous une forme atténuée, ils se sont maintenus jusqu’au XXe siècle lorsque les papes consultaient de façon systématique tous les évêques du monde sur une question importante. Regardons quatre exemples : deux dogmes proclamés par Pie IX et Pie XII (ceux de l’Immaculée Conception et de l’Assomption) et deux décisions de saint Paul VI (la communion dans la main et la contraception).
Examinons dans un premier temps la procédure suivie au milieu du XIXe siècle par le pape Pie IX pour statuer sur le dogme de l’Immaculée Conception, sujet discuté depuis plusieurs siècles. Le souverain pontife avait été saisi de cette question par de nombreux évêques et avait formé, dès 1848 (rappelons qu’il avait été élu en 1846), une commission de vingt théologiens et une congrégation de huit cardinaux. C’était la première étape de la procédure.
Puis, dans une seconde phase, il avait sollicité par écrit l’avis de tous les évêques (c’était l’objet de l’encyclique Ubi Primum du 2 février 1849).
Troisième étape : le 10 mai 1852, le pape réunit une commission spéciale pour élaborer le texte définitif.
Quatrième étape, le consistoire (réunion de l’ensemble des cardinaux) donne son approbation formelle.
Enfin, et seulement au terme de cette procédure longue et soigneuse, Pie IX a procédé à la promulgation de la Constitution apostolique Ineffabilis Deus le 8 décembre 1854.
Cette procédure avait établi la parfaite concordance de vues du pape avec la quasi-totalité des évêques sur un sujet débattu de longue date avec une grande liberté.
Le pape Pie XII avait fait le choix d’une procédure identique au sujet de l’Assomption. Rien ne l’y obligeait car les termes du concile Vatican I lui donnaient parfaitement la légitimité théologique et juridique pour prendre seul une décision en cette matière.
Pourtant, considérant sans doute que le fait d’être titulaire d’un pouvoir explicite ne devait pas le dissuader de recueillir tous les avis de nature à éclairer sa décision, le souverain pontife avait adressé aux évêques l’encyclique Deiparae Virginis Mariae les invitant en 1946 à exprimer leur opinion. Ils approuvèrent la suggestion à la quasi-unanimité.
Ce n’est qu’après cette démarche que la constitution Munificentissimus Deus fut promulguée en 1950 en présence d’un grand nombre d’évêques. Les noms de ceux-ci furent d’ailleurs inscrits à l’entrée de la basilique Saint-Pierre pour illustrer pour les siècles à venir la convergence des vues de l’évêque de Rome et de ses confrères.
Un autre exemple intéressant est fourni par saint Paul VI qui a voulu avoir une réponse claire à la demande de certains évêques (de l’Europe du Nord-Ouest principalement) d’admettre la réception de la communion dans la main. Ce sujet était alors brûlant dans certains pays et le souverain pontife fit le choix de procéder à une consultation de l’ensemble des évêques.
Le 28 octobre 1968, la Curie romaine avait diffusé un questionnaire précis où trois questions distinctes furent posées. Voici les questions et les résultats de la consultation :
Réponse | Nb voix |
---|---|
Placet | 567 |
Non placet | 1233 |
Placet juxta modum | 315 |
Réponses non valides | 20 |
Réponse | Nb voix |
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Placet | 751 |
Non placet | 1215 |
Réponses non valides | 70 |
Réponse | Nb voix |
---|---|
Placet | 835 |
Non placet | 1185 |
Réponses non valides | 128 |
De façon tout à fait logique, le Saint-Siège a tiré de cette consultation les conclusions qui s’en imposaient dans l’instruction Memoriale Domini qui réitérait fermement la nécessité de conserver la pratique traditionnelle. Les termes en étaient très clairs : « compte tenu des remarques et des conseils de ceux que “l’Esprit-Saint a constitués intendants pour gouverner” les Églises, eu égard à la gravité du sujet et à la valeur des arguments invoqués, le souverain pontife n’a pas pensé devoir changer la façon traditionnelle de distribuer la Sainte Communion aux fidèles. »
Toutefois, après ce rappel de la position traditionnelle défendue par la grande majorité des évêques, l’instruction ouvrit la porte à des adaptations locales :
Aussi, le Saint-Siège exhorte-t-il vivement les évêques, les prêtres et les fidèles à respecter attentivement la loi toujours en vigueur et qui se trouve confirmée de nouveau, en prenant en considération tant le jugement émis par la majorité de l’épiscopat catholique que la forme utilisée actuellement dans la sainte liturgie, et enfin le bien commun de l’Église.
Mais là où s’est déjà introduit un usage différent - celui de déposer la Sainte Communion dans la main - le Saint-Siège, afin d’aider les Conférences épiscopales à accomplir leur tâche pastorale, devenue souvent plus difficile dans les circonstances actuelles, confie à ces mêmes Conférences la charge et le devoir de peser avec soin les circonstances particulières qui pourraient exister, à condition cependant d’écarter tout risque de manque de respect ou d’opinions fausses qui pourraient s’insinuer dans les esprits au sujet de la Très Sainte Eucharistie, et d’éviter soigneusement tous autres inconvénients.
De plus, en pareils cas, pour que cet usage s’établisse comme il faut, les Conférences épiscopales prendront, après prudent examen, les décisions opportunes, par vote secret et à la majorité des deux tiers. Ces décisions seront ensuite soumises au Saint-Siège, pour en recevoir la nécessaire confirmation [12], accompagnées d’un exposé précis des causes qui les ont motivées. Le Saint-Siège examinera chaque cas attentivement, en tenant compte des liens existant entre les différentes églises locales, ainsi qu’entre chacune d’elles et l’Église universelle, afin de promouvoir le bien commun et l’édification commune, et afin que l’exemple mutuel accroisse la foi et la piété.
On notera avec intérêt deux orientations : la volonté du pape de respecter la position de la majorité en principe mais en même temps l’acceptation de pratiques différentes dans certains pays (car, en général, une conférence épiscopale correspond aux frontières d’un État).
En avril 1963, sept mois après l’ouverture du second concile œcuménique du Vatican, saint Jean XXIII avait réuni une « commission pontificale pour l’étude de la population, de la famille et de la natalité ». Celle-ci était composée au départ de huit démographes qui conclurent à la nécessité de réaffirmer la doctrine traditionnelle (affirmée par les Pères de l’Église et réaffirmée par Pie XI en 1930 dans son encyclique Casti Connubii).
Dans les années qui suivirent, saint Paul VI modifia la composition de la commission dont les conclusions changèrent également dans le sens d’un assouplissement croissant. En avril 1964, son effectif passa à 13. En juin 1964, elle aboutit à une conclusion provisoire avec 9 voix opposées à tout changement contre 2. La conclusion définitive fut cependant remise à plus tard.
Le 23 octobre 1964, le pape, considérant que la question était en cours d’examen par cette commission, décida de retirer ce sujet de l’ordre du jour des débats du concile. Les Pères du concile demandèrent alors que la commission fût élargie. Saint Paul VI nomma de nouveaux membres : elle était désormais constituée de 20 théologiens, 19 démographes, sociologues et économistes, 12 médecins et 3 couples (un européen et deux nord-américains, aucun asiatique ni africain ni latino-américain). Les laïcs devinrent ainsi majoritaires dans une commission de 51 membres dont seulement 38 européens et nord-américains.
Dans cette nouvelle configuration, les opposants à la doctrine traditionnelle devinrent majoritaires, y compris parmi les théologiens.
En 1966, seize évêques furent intégrés à la commission dont le rapport définitif fut adopté par 64 voix contre 4. S’agissant des seuls théologiens, ils déclarèrent par 15 voix contre 4 que la contraception artificielle n’est pas intrinsèquement mauvaise et, les 24 et 25 juin 1966, approuvèrent par 9 voix contre 5 un texte final disant qu’il « appartient [aux époux] d’en décider ensemble, sans se laisser aller à l’arbitraire, mais en ayant toujours à l’esprit et à la conscience des critères objectifs de moralité » et où l’éloge de la continence périodique est supprimé.
Pourtant, après deux ans de réflexion au cours desquels il a examiné les arguments opposés à la réforme (arguments portés notamment par le cardinal Wojtyła, alors archevêque de Cracovie), saint Paul VI a finalement opté pour la position traditionnelle et signé l’encyclique Humanae Vitae la confirmant. Ce faisant, il a manifesté que l’avis d’une commission ne pouvait le lier.
Philippe Pelissier
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