L’Evêque de Quimper, Monseigneur Dognin, a adressé le 22 décembre 2023 aux fidèles des communautés desservies par la Fraternité Saint Pierre dans le Finistère une lettre confirmant l’expulsion des deux prêtres de la FSSP d’ici la fin de la deuxième partie de la l’année pastorale. Cette lettre fait suite à celle qu’il avait adressée aux mêmes fidèles le 17 décembre, leur annonçant sa décision de chasser la Fraternité Saint Pierre du diocèse.
Dans sa lettre du 17 décembre 2023, Monseigneur Dognin rappelle la visite pastorale qu’il a effectuée au printemps 2022 auprès des fidèles attachés à la liturgie traditionnelle de son diocèse, soulignant « la nourriture spirituelle [que cette liturgie vous] apportait ». Il a promulgué en faveur de la liturgie traditionnelle une ordonnance le 11 juin 2023, actualisant ainsi une convention avec la Fraternité Saint Pierre datant de 2016. Tout en soulignant que les prêtres de la FSSP sont « des pasteurs zélés », il dit avoir constaté que la « messe dominicale s’est transformée de facto en la création de deux paroisses personnelles (non canoniques) avec toutes les activités afférentes, en parallèle des activités paroissiales. Je ne le souhaitais pas, car je savais que compte tenu de l’histoire de notre diocèse, cela aurait des conséquences sur la communion ecclésiale, autant pour le clergé diocésain que pour les fidèles. ». Arguant de tensions au contour imprécis, mais ayant pu être provoquées par « un article très offensant paru sur un blog traditionaliste à propos de la paroisse Quimper - Saint-Corentin (qui ) a suscité un grand émoi dans le diocèse », Monseigneur Dognin a énoncé sa décision de maintenir les messes dominicales avec l’ancien missel « pour le bien des fidèles », assurées à l’avenir par des prêtres diocésains, et de révoquer la convention signée avec la Fraternité Saint Pierre.
Les arguments ne sont plus les mêmes dans la lettre du 22 décembre. L’Evêque annonce d’emblée que sa décision « n’est pas un blâme adressé aux abbés Loïc COURTOIS et Nicolas TÉLISSON. Ils accomplissent leur ministère avec zèle et se donnent généreusement à la mission qui leur est confiée », ajoutant : « Depuis leur arrivée dans le Finistère, vos témoignages sont nombreux pour dire votre attachement et votre gratitude à leur égard. Je l’avais bien constaté lors de mes visites pastorales dans vos communautés au printemps 2022. ». D’une manière assez contradictoire, Monseigneur Dognin ajoute : « Ils sont fidèles aux orientations et choix pastoraux de leur Fraternité sacerdotale tout en maintenant la communion avec moi. Il est évident qu’on ne peut pas le leur reprocher », mais il déplore quelques lignes plus loin: « Ils restent ainsi beaucoup plus disponibles que leurs confrères pour accompagner personnellement leurs fidèles et pour assurer eux-mêmes l’ensemble des activités pastorales en parallèle avec les propositions paroissiales et sans tenir compte des orientations diocésaines ». On reste perplexe devant l’affirmation que ces deux prêtres zélés et généreux, demeurant en communion avec l’Evêque, puissent ne pas tenir compte des orientations diocésaines quand bien même leurs activités pastorales seraient conduites de manière autonome… On note surtout avec surprise qu’il leur est reproché d’être « plus disponibles que leurs confrères ». A y regarder de plus près, en effet, on apprend par exemple que les prêtres de la Fraternité Saint Pierre assurent une permanence de confession à la cathédrale de Quimper le vendredi de 9h30 à 10h30 et de 17h30 à 18h30, et le samedi de 9h30 à 11h00. Or on constate sur le site internet de la cathédrale que les seuls horaires de confession proposés pour toute la semaine sont précisément le vendredi de 9h30 à 10h30 et 17h30 à 18h30 et le samedi de 9h30 à 11h00. Même si les prêtres de la cathédrale doivent sans doute être présents lors de ces créneaux, on peine à penser que la présence des prêtres de la FSSP ne soit pas conforme aux orientations diocésaines lorsqu’ils dispensent le sacrement de la pénitence à la cathédrale. Ou bien est-ce parce qu’ils affichent également confesser tous les jours à l’Eglise Saint Mathieu qu’ils desservent, du lundi au samedi et le dimanche matin, que cela contrevient aux orientations diocésaines ? Nous n’en saurons pas plus.
En effet, plutôt que d’approfondir des reproches finalement peu consistants à l’égard des deux prêtres de la FSSP, Monseigneur Dognin préfère mettre en cause « la position de la Fraternité sacerdotale Saint-Pierre au sein de l’Église en général », « qui pose un problème ». Explication : « Leurs prêtres ont certes l’autorisation de célébrer avec l’ancien Missel et, sous certaines conditions, avec les anciens rituels, mais leur refus de concélébrer avec moi la messe chrismale et de célébrer avec le Missel et les rituels actuels les met en marge de l’Église. Ce refus laisse planer le doute sur la reconnaissance qu’ils peuvent avoir de la validité des sacrements célébrés dans l’Église catholique romaine dans le monde entier. ». Ce qu’il faut donc comprendre comme motif de l’expulsion de la Fraternité Saint Pierre du diocèse n’est pas le zèle de ses prêtres, fussent-il plus disponibles que leurs confrères pour le bien des fidèles, mais les constitutions de la Fraternité Saint Pierre, rien de moins. Nous ne ferons pas l’injure à Monseigneur Dognin de rappeler que les constitutions de cet institut réservent pour ses prêtres l’usage exclusif de l’ancien ordo, que ces constitutions ont été approuvées par Saint Jean-Paul II, par le Pape Benoît XVI et, en 2022, par le Pape François : il y fait lui-même référence. L’objet du litige est ailleurs : l’absence statutaire de ces prêtres à la concélébration de la messe chrismale selon le nouveau rite « laisse planer un doute »… C’est donc pour un doute qu’ils sont expulsés du diocèse ? Canoniquement, l’argument laisse perplexe.
Monseigneur Dognin a la réputation d’être un pasteur doux et bon. Il faut lui rendre cette justice alors que la sphère internet est prompte à s’enflammer et que certains articles auxquels il fait lui-même allusion ont pu être perçus comme manquant à la charité et, à tout le moins, à la prudence. Il faut donc essayer de comprendre ce qui anime la décision d’un Evêque soucieux du bien, mais dont les arguments changeants d’un courrier à l’autre sont difficiles à suivre.
En effet, la convention diocésaine signée avec la Fraternité Saint Pierre en 2016 et renouvelée par lui le 11 juin 2023 ne pouvait pas dissimuler ce que comportent les constitutions de la Fraternité Saint Pierre. Issue, en 1988, d’un petit groupe de prêtres de la Fraternité Saint Pie X qui refusèrent de suivre Monseigneur Lefebvre lors des consécrations épiscopales sans mandat pontifical, la Fraternité Saint Pierre a demandé et obtenu que lui soit appliquée les termes de l’accord que le Saint Siège avait proposé à Monseigneur Lefebvre avant les sacres. En application de cet accord, la Fraternité Saint Pierre ordonne des prêtres pour l’usage exclusif du rite selon le missel de 1962 promulgué par le Pape Jean XXIII. La généralisation de la concélébration s’est établie après : elle est prescrite à la Messe d’ordination d’un évêque ou des prêtres, à la Messe de bénédiction d’un abbé et à la Messe chrismale par un décret du 7 mars 1965. Certes, les prêtres ordonnés pour l’usage du missel de 1962 peuvent célébrer selon le nouveau rite au titre de la loi commune à l’Eglise latine, mais il ne peuvent être obligés de concélébrer en vertu de la Constitution sur la Sainte Liturgie du 4 décembre 1963 du Pape Paul VI, qui prévoit expressément qu’on « réservera toujours à chaque prêtre la liberté de célébrer la messe individuellement ». L’argument de l’Evêque de Quimper sur ce point semble donc quelque peu spécieux pour écarter deux prêtres de son diocèse au motif qu’ils ne concélèbrent pas à la messe Chrismale, dans la mesure où cette concélébration ne peut être rendue obligatoire.
Un autre aspect de l’argumentation porte sur les conséquences qui en découlent : « leur refus de concélébrer avec moi la messe chrismale et de célébrer avec le Missel et les rituels actuels les met en marge de l’Église. Ce refus laisse planer le doute sur la reconnaissance qu’ils peuvent avoir de la validité des sacrements célébrés dans l’Église catholique romaine dans le monde entier ». Demander l’application d’un droit de l’Eglise établ par le Pape (en l’occurrence la constitution du Pape Paul VI de 1963) peut-elle avoir pour conséquence de mettre un prêtre « en marge de l’Eglise » ? Le prétendre est pour le moins hasardeux. Un doute peut-il être un motif légitime de renvoi de prêtres « qui sont des pasteurs zélés » ? On voudrait croire que non…
L’Eglise est une société dotée d’un droit propre qui doit être respecté. Ce droit ne prévoit ni l’obligation de concélébrer ni le pouvoir arbitraire du « doute », fut-ce celui d’un Evêque. Au contraire, le Catéchisme de l’Eglise Catholique enseigne que l’unité dans l’Eglise se manifeste par trois dispositions : la récitation du même Credo, la reconnaissance de la hiérarchie instituée et la célébration des mêmes sacrements. Sur aucun de ces points les prêtres de la Fraternité Saint Pierre ne peuvent être déclarés défaillants. Ils professent la même foi que Monseigneur Dognin, ils sont en communion avec lui et avec le Pape, ils célèbrent les sacrements de l’Eglise selon un rite jamais abrogé, en vertu des dispositions que l’Eglise a accordé à leur institut et confirmé par un décret du Pape François lui-même.
Dans ces conditions, on ne peut comprendre la décision de Monseigneur Dognin que de deux manières : soit il s’agit d’une offensive menée de l’intérieur de l’Eglise contre la Fraternité Saint Pierre au mépris d’une décision du Pape, soit il s’agit d’un aveu d’incapacité à gouverner l’église particulière qui lui est confiée dans le Finistère.
Dans la première hypothèse, peut-on imaginer que les évêques de France aient décidé de supprimer en France la Fraternité Saint Pierre ? Rien ne permet de l’affirmer, rien ne permet de l’exclure…
A l’appui de la deuxième hypothèse, on trouve dans les deux lettres de l’Evêque des affirmations réitérées de « tensions » dans le diocèse arrivées aujourd’hui « à un point de non-retour ». Les causes de ces tensions ont été déjà analysées : le zèle des prêtres de la FSSP, leur disponibilité au service des fidèles, les activités spirituelles qu’ils ont cru de leur devoir de prêtres d’assurer pour le bien des âmes… « Les activités pastorales (catéchisme, pastorale des jeunes, etc.) ainsi que la préparation et la célébration des sacrements (baptême, mariage, etc.) », tout cela ferait de la concurrence aux œuvres paroissiales vers lesquelles l’Evêque entend rediriger les fidèles lorsqu’il leur écrit que ces activités « pourront avoir leur place dans la vie des paroisses. Les curés concernés seront attentifs à vos attentes ». Comment le croire alors que l’Evêque écrit aux fidèles que les prêtres diocésains sont beaucoup moins disponibles que leurs confrères de la Fraternité Saint Pierre « pour accompagner personnellement leurs fidèles et pour assurer eux-mêmes l’ensemble des activités pastorales » ? C’est pourtant à ces prêtres moins disponibles qu’il veut confier le soin de célébrer la messe pour les fidèles attachés à la liturgie traditionnelle de Quimper et du Léon, excluant de facto les autres sacrements.
Comment croire que cette décision pourra être jugée satisfaisante de part et d’autre ? Si elle est une victoire pour le presbyterium de Monseigneur Dognin, elle ne présume rien de bon pour les fidèles. Imaginer que la solution diocésaine puisse être accueillie dans la paix est une vue de l’esprit tant elle est empreinte d’un cléricalisme agressif. A l’heure d’une synodalité qui affirme que « tous, tous, tous » ont leur place dans l’Eglise, au moment où les intentions de prière du Pape pour le mois de janvier 2024 demandent : « Prions pour que l’Esprit nous aide à reconnaitre les divers charismes dans la communauté chrétienne et à découvrir la richesse des différentes traditions rituelles au sein de l’Eglise catholique », le diocèse de Quimper prend le chemin exactement inverse. La pression du cléricalisme pousse un évêque bienveillant à sacrifier deux prêtres « zélés et généreux ». Est-ce bien ce qu’il faut pour apaiser les tensions ?
Monseigneur Dognin semble en douter lui-même, puisqu’il adopte à la fin de sa lettre du 22 décembre le ton de la menace, voire même du chantage en disant : « Si tout se passe de façon paisible, notamment en acceptant le changement d’église à Quimper, les deux abbés pourront continuer à assurer leur ministère jusqu’à la fin de l’année pastorale. Cependant, si je constate que les tensions et médisances persistent voire s’accentuent, je n’hésiterai pas à revoir ma position et demanderai un départ anticipé ». Obéit-il au diktat de son presbyterium ? Manifeste-il sa crainte de ne plus rien maîtriser ?
Pour conjurer ce qu’il pressent, Monseigneur Dognin use d’un dernier argument : évoquant les tensions au sein du diocèse, il écrit « la création de l’association Tradition et Unité en Finistère, dont l’objet et les statuts ne respectent pas le droit de l’Église, n’a pas arrangé les choses. » Soyons ici très clair : l’association Tradition et Unité en Finistère est affiliée à l’Union Lex Orandi, qui rassemble des associations de droit ou de fait réunissant des fidèles laïcs attachés à la liturgie traditionnelle, pour en assurer la préservation et offrir au plus grand nombre d’en découvrir les bienfaits spirituels. Monseigneur Dognin a d’emblée reconnu ce besoin des fidèles : « Lors de la visite pastorale que j’avais effectuée dans votre communauté au printemps 2022, j’avais constaté votre joie de participer à la messe célébrée avec le Missel de 1962 et la nourriture spirituelle que cela vous apportait. J’ai pu en mesurer l’importance dans les réponses au questionnaire que je vous avais adressé. » L’association Tradition et Unité en Finistère ne fait qu’exprimer collectivement ce que l’Evêque a pu constater personnellement : l’attachement indéfectible des fidèles à cette « nourriture spirituelle ». Prétendre que l’existence de cette association n’a pas arrangé la situation dans le diocèse est une querelle d’allemands. C’est parce que la situation des fidèles a commencé d’être menacée qu’ils ont décidé de se constituer en association. Ce n’est pas une association à vocation cultuelle, condamnée par Saint Pie X en 1906 par l’encyclique Gravissimo Officii Munere, mais une association selon la loi de 1901 comme il existe à Quimper l’association Bara Pemziec pour contribuer au développement et à la promotion de la culture bretonne, des valeurs chrétiennes et de la doctrine sociale de l’église, ou à Landerneau l’association Introun Varia Breizh qui vise à promouvoir le développement des valeurs chrétiennes et culturelles, et dont on ne sache pas que Monseigneur Dognin ait l’intention de leur faire un procès canonique.
Au fond, quand on relit les deux lettres de l’Evêque, on en déduit que le nœud du problème tient au choix des fidèles de vouloir fréquenter les deux lieux de culte diocésains desservis par la Fraternité Saint Pierre. Ce qui semble un obstacle à l’unité, c’est la participation des fidèles à des œuvres de spiritualité autres que l’action des chrétiens pour l’abolition de la torture ou le CCFD, dont le site internet de la cathédrale fait la promotion ; ce qui est intolérable pour le clergé, c’est l’attachement des fidèles à la liturgie traditionnelle ; ce qui est reproché aux laïcs, c’est de s’organiser pour en promouvoir le rayonnement.
Monseigneur, est-il possible que ce soit cette intolérance qui vous anime ? En choisissant de faire des fidèles laïcs les victimes d’un règlement de compte clérical, croyez-vous œuvrer à l’unité, à la charité et à la paix ? Monseigneur Dognin, ne soyez pas le persécuteur de vos propres fidèles, il est encore temps de revenir à la raison. L’injustice de votre décision transpire à toutes les lignes de vos deux courriers. Si l’iniquité n’est pas votre intention, annulez l’expulsion programmée et la paix s’étendra dans votre diocèse pour les années restantes de votre épiscopat. Sinon, qui sème le vent récolte la tempête… et dans le Finistère, les tempêtes passent pour être violentes. C’est sans doute pourquoi les habitants de la région ont la réputation d’avoir du caractère.
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